Planification familiale en Guinée : entre tabou, clandestinité et espoir de changement…

A 761 km de la capitale Conakry, dans la zone minière de Siguiri, située au nord-est de la Guinée, dans la région de la Haute-Guinée, l’accès à la planification familiale reste un parcours semé d’embûches. Entre les tabous culturels, la peur du jugement et les difficultés logistiques, les femmes et les jeunes filles peinent à exercer leur droit à la santé reproductive. Pourtant, malgré ces obstacles, des initiatives locales et nationales tentent de briser les barrières, offrant un espoir de changement pour des milliers de femmes.

Bintia Magassouba, 19 ans, travaille dans une mine artisanale de Siguiri. Pour elle, comme pour tant d’autres jeunes filles, la planification familiale est une question de survie. « Je vois beaucoup de filles de mon âge tomber enceintes par accident et abandonner l’école ou leurs activités. Moi, je pense que la planification familiale peut protéger les jeunes filles comme nous », dit-elle.

Autour des sites aurifères de Siguiri, la poussière dorée recouvre les visages fatigués des jeunes filles qui cassent les pierres sous un soleil brûlant. Dans ce décor rude, parler de contraception semble presque hors de propos, alors même que leur avenir en dépend.

Pourtant, dans sa communauté, une célibataire qui utilise la contraception est mal vue. « Les gens vont dire que je suis déjà une fille perdue. Alors, même si je sais que ça peut m’éviter des problèmes, je préfère me taire », explique-t-elle, les larmes aux yeux.

Son témoignage reflète une réalité cruelle : dans les zones minières, la planification familiale est souvent perçue comme un tabou, voire une transgression des normes sociales. Tiranké Magassouba, 34 ans, mère de quatre enfants, en sait quelque chose. « Mon mari dit que c’est haram pour une femme mariée d’y avoir recours, raconte-t-elle. Pourtant, j’ai eu mes quatre grossesses très rapprochées. Je suis épuisée. Si j’avais eu accès à la planification familiale plus tôt, j’aurais pu espacer les naissances et préserver ma santé ».

Des défis systémiques et un manque de transparence

Les obstacles ne sont pas seulement culturels. Dans les zones minières, l’accès aux centres de santé est complexe. Les femmes doivent souvent obtenir l’aval de leur mari pour bénéficier d’une méthode de contraception, ce qui décourage beaucoup d’entre elles. Résultat : la plupart des utilisations de la planification familiale se font dans la clandestinité, avec la complicité de certaines sages-femmes.

Dans le petit centre de santé de Kintinian, une sage-femme confie à voix basse : « Beaucoup de femmes viennent la nuit, quand tout le monde dort, pour demander une méthode. Elles ont peur que leurs maris ou leurs voisins les surprennent ».

« Nous avons mis en place un calendrier tournant pour faciliter la distribution des contraceptifs, explique un membre de la Direction préfectorale de la Santé. Mais le manque de confidentialité et la peur d’être dénoncées poussent les femmes à se cacher ».

Au-delà de ces obstacles, l’accès aux données reste problématique. Contactée, la Direction préfectorale de la Santé de Siguiri a indiqué ne pas pouvoir fournir de statistiques sur l’accès à la planification familiale dans la zone, sans l’aval du ministère de la Santé. De son côté, la Direction du Bureau de la Stratégie et du Développement (BSD) du ministère de la Santé a refusé de s’exprimer sur le sujet. Cette absence de transparence complique l’évaluation précise des besoins et des progrès réalisés.

Des engagements nationaux ambitieux

Face à ces défis, la Guinée s’est engagée en 2021 pour la période 2020-2030, dans le cadre du Partenariat de Ouagadougou, à améliorer l’accès à la planification familiale d’ici 2030. Parmi les objectifs visés :

  • augmenter le taux de prévalence contraceptive moderne (TPCM) de 12,6 % en 2020 à 18,52 % en 2023,
  • rendre gratuits les services de planification familiale dans toutes les formations sanitaires publiques d’ici 2024,
  • assurer un accès continu aux services, y compris pour les adolescents et les jeunes en situation de crise humanitaire.

L’UNFPA, en partenariat avec le gouvernement guinéen, a doublé son investissement pour offrir des services gratuits à travers le pays. En 2024, plus de 2 millions de dollars ont été alloués à l’achat de produits contraceptifs, couvrant environ 70 % des besoins nationaux. « Nous voulons que chaque femme ait le pouvoir de décider de son corps, de sa santé et de son avenir », déclare Francesco Galtieri, représentant de l’UNFPA en Guinée.

Cependant même cette organisation cherche à convaincre les sociétés minières œuvrant dans ces localités à établir un plan d’action visant à améliorer l’accès aux moyens contraceptifs. Un appel auquel ces sociétés restent muettes jusque là.

Des progrès, mais encore du chemin à parcourir

Les efforts portent leurs fruits : entre 2012 et 2024, le nombre d’utilisatrices de méthodes contraceptives modernes est passé de 190 000 à 590 000, et le taux de prévalence contraceptive moderne (TPCM) a progressé de 7,7 % à environ 16 %. Mais les besoins non satisfaits restent élevés : selon les dernières données de l’EDS V réalisé en 2018 Guinée, 22 % des femmes mariées âgées de 15 à 49 ans ont encore des besoins non comblés en matière de contraception.

Dans les zones minières, où les femmes sont particulièrement vulnérables, des initiatives locales tentent de briser les tabous. « Nous formons des relais communautaires pour sensibiliser les femmes. Mais le changement prend du temps », explique un responsable sanitaire.

Un avenir à construire ensemble

Pour Bintia, Tiranké et des milliers d’autres femmes, l’accès à la planification familiale est une question de dignité et de liberté. « Je rêve d’un jour où je pourrai décider de mon corps sans avoir peur », confie Bintia.

Dans les zones minières, comme dans de nombreuses localités en Guinée, la planification familiale n’est pas seulement une question de santé publique. C’est un combat pour l’égalité, la liberté et l’autonomie des femmes. Un combat qui, malgré les obstacles, avance pas à pas, porté par l’espoir et la détermination de celles qui refusent de se résigner.

Elisabeth Zézé Guilavogui et Adama Hawa Bah

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