Matoma est une jeune femme qui vient de sortir de l’adolescence. Âgée d’une vingtaine d’années, elle vit dans la ville de N’zérékoré, la grande agglomération du sud de la Guinée, où elle s’est réfugiée après un mariage raté. Cette jeune femme qui a arrêté les études en classe de 10e année, à première vue ressemble à n’importe quelle femme de son âge. Pourtant, il y a quelques années, elle a vécu une situation qui restera à jamais ancrée dans sa mémoire. Comme de nombreuses filles guinéennes, Matoma a été donnée en mariage sans son consentement, par ses parents à une famille alliée pour honorer une vieille promesse prise vis-à-vis de cette dernière et marquer sa reconnaissance aux bonnes actions de cette “famille bienfaisante”. Ce genre d’union qui résiste encore dans la société guinéenne est connu sous l’appellation de “mariage arrangé” que les parents des mariés décident de sceller, parfois à l’insu des principaux intéressés.
C’est comme cela que Matoma fut donnée en mariage à Moussa sans même que les deux époux n’aient le temps de se choisir. Tout ou presque a été imposé. D’ailleurs, quel temps avaient-ils besoin pour se connaître si leurs familles étaient alliées depuis des décennies ? Aucune, répondrait-on, dans cet environnement fortement influencé par la tradition. Nous sommes en 2015. Cette année-là, Matoma était innocente comme toute fille dans l’adolescence.
Dernière volonté de sa mère mourante
De son vivant, sa maman l’avait promise à la famille Camara par reconnaissance aux bonnes actions de celle-ci à son égard. Elle rendra l’âme début 2015 pendant la crise sanitaire d’Ebola. En effet, dans le cadre de son travail de sage-femme, elle avait été accidentellement contaminée par la redoutable maladie alors qu’elle essayait de sauver une femme enceinte admise dans un état critique à l’hôpital. Elle ignorait que celle-ci était porteuse du virus. Sur son lit d’hôpital, avant de rendre son dernier souffle, elle rappela à sa fille Matoma l’engagement qu’elle avait pris envers la famille Camara : la donner en mariage au jeune benjamin.
Après l’épreuve de deuil, Matoma ayant atteint ses 17 ans, les membres de la famille Camara se rapprochèrent d’elle en vue de préparer le mariage. La jeune Matoma ne fit aucune objection, se rappelant de la dernière volonté de sa mère et ignorant sans doute les inconvénients du mariage arrangé.
Célébration du mariage, début du calvaire et décision de fuir
En décembre 2017, le mariage est célébré dans la préfecture de Kérouané où vit la famille Camara. Quelques mois plus tard, les premiers prémisses font leur apparition. La tension monte dans le foyer entre la nouvelle mariée et sa belle-mère d’un côté et avec ses belles-sœurs de l’autre côté. Ces dernières ne voulaient plus la voir dans la maison. Mais à cause des conseils de sa sœur aînée qui la suppliait d’honorer la parole de leur défunte mère et du soutien de son époux (qui n’avait pas encore basculé dans le camp de sa maman et ses soeurs), Matoma essaie de sauver son mariage. Le calvaire ne faisait pour autant que commencer. Ses relations avec sa belle-mère et ses belles-soeurs s’empirent au fil du temps. À chaque dispute avec un membre de la famille, Matoma était battue et chassée de la maison familiale. Comme dans bon nombre de familles dans notre pays, la femme n’a jamais raison sur son mari voire sur sa belle-famille quand il y a des incompréhensions. Matoma n’a pas échappé à cette règle : après chaque dispute, elle était aussitôt ramenée de force par sa propre famille qui ne voulait pas être “humiliée”. Ce scénario se répéta à plusieurs reprise… jusqu’au jour où pour une banale histoire avec un membre de la famille elle fut tellement battue qu’elle fut admise d’urgence à l’hôpital. Verdict des médecins : reins déplacés et perte du bébé qu’elle portait (elle était en début de grossesse). Comme si cela ne suffisait pas, ses affaires furent jetées dehors par sa belle-famille. Au terme de plusieurs jours passés à l’hôpital, son état s’était nettement amélioré. Elle retourna chez elle, dans sa famille.
Mais des démarches furent entreprises par les parents de son mari pour aller présenter leurs “excuses” et solliciter son retour à la maison. Quand elle a appris que sa famille était sur le point d’accepter ces excuses, elle a décidé de s’enfuir pour rejoindre une tante à N’zérékoré. Celle-ci l’aide à reprendre sa vie en main après ce traumatisme qu’elle a subi. Son rêve aujourd’hui, c’est de s’inscrire dans une école de santé pour acquérir des connaissances lui permettant de venir en aide aux femmes – surtout celles qui ont été battues – et lutter contre les mariages arrangés.
Ibrahima Diabaté, N’zérékoré
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