Sur mon chemin de retour de la fac, je m’arrête régulièrement dans la gargote de Kadiatou qu’elle tient dans un quartier animé de la haute banlieue de Conakry. De discussion en discussion, nous avons fini par sympathiser. De secrets personnels, on s’en est beaucoup partagé. Kadiatou est âgée d’une quarantaine d’années et originaire d’une ville de la Haute-Guinée. Dans son petit restaurant, elle vend du riz avec poissons et est mère de quatre enfants. Son histoire, qu’elle a acceptée que je partage à travers cet article, ressemble à celles de beaucoup d’autres femmes guinéennes : être mariée très tôt et devoir affronter les péripéties de la vie.

Quand Kadiatou se mariait, elle était jeune et innocente. Tout juste âgée de 15 ans. Dans son village situé quelque part au centre de la Guinée, son papa Amadou lui a annoncé un beau matin que son cousin Mamadi allait leur rendre visite et qu’il avait décidé de la lui donner en mariage. Il la prévient que sa décision ne doit faire l’objet d’aucune contestation. Pour Kadiatou, c’est comme si le temps s’est arrêté ce jour-là. En pleurs, elle quitta la maison familiale pour aller rejoindre sa maman au marché où celle-ci vendait du fonio. Elle lui expliqua la décision d’Amadou en la suppliant de tenter de lui faire changer d’avis. Sa maman, impuissante, lui répondit qu’elle ne pouvait rien faire. Le père de famille est le seul maître à bord. C’est lui qui décide de tout. Le mariage est célébré quelques jours après, et les deux nouveaux époux s’installent à Conakry.

À son arrivée dans la capitale, une grande surprise l’attendait. Mamadi n’avait pas de travail ni même de maison où loger sa femme. Depuis longtemps, il dormait dans le salon d’un de ses amis. Kadiatou devait absolument apprendre à vivre avec précarité humiliante. Pour dormir, le couple attendait que l’hébergeur et sa femme rentrent se coucher dans leur chambre pour qu’il occupe le salon. Cela a duré une bonne année.

Un jour, une dispute éclata entre Kadiatou et la femme de l’ami de son mari. Celle-ci décida de les chasser de sa maison. Mamadi ne travaillant toujours pas, elle devait se débrouiller pour trouver de quoi se nourrir et se loger. C’est ainsi que Kadiatou trouva du travail en tant que nounou dans une famille au quartier Taouyah. Elle y travailla pendant six mois. Un matin, se sentant malade, elle fut admise à l’hôpital par sa patronne où elle a découvert qu’elle était enceinte. Sa joie sera vite interrompue par la dure réalité : comment faire face à cette nouvelle expérience alors que son mari, bien qu’il sorte chaque matin et ne rentre qu’au soir ne lui apportait un seul sou ? Alors qu’elle était enceinte, elle continua de travailler jusqu’à l’approchement de l’accouchement. Après avoir observé une pause pour pouvoir s’occuper de son nourrisson, Kadiatou puisa dans ses économies qu’elle s’était faite durant sa période d’activité pour se trouver une maison. Deux décennies plus tard, elle y vit toujours avec son mari et ses enfants.

L’autre partie de ses économies, elle l’a investie dans sa gargote où elle sert du riz avec poissons afin de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Trois de ses quatre enfants sont nés ici et son petit restaurant lui a apporté une stabilité financière. Mais une chose continue de hanter Kadiatou : qui serait-elle devenue si elle avait pu poursuivre ses études ? Peut-être elle allait devenir une femme puissante qui contribue au développement économique et social de la Guinée. Hélas, elle ne peut plus se retourner dans le passé ! Certes, elle, elle ne peut plus reprendre ses études. Mais sa fille, elle, a toute la vie devant elle. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle se bat tous les jours afin que ces trois garçons et sa fille unique étudient. Cela leur permettra de ne pas souffrir comme elle. Car beaucoup de choses ont changé mais jusqu’à présent c’est Kadiatou qui fait tout pour ses enfants et son mari. Même la cigarette que son mari fumé, c’est elle qui la lui paie.

J’ai rédigé cet article parce que dans notre pays elles sont nombreuses ces femmes anonymes qui sont le noyau de leurs familles.  À toutes ces femmes battantes, à toutes ces femmes qui souffrent dans leurs foyers, j’aimerais leur dire de ne jamais baisser les bras.

Par Fatoumata Binta

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