Comme dans de nombreux pays africains, les grossesses non-désirées sont un véritable problème de société en Guinée. Dans la région de Kankan, comme un peu partout dans le pays, en plus d’être fréquentes, elles relèvent d’un sujet tabou à cause notamment des nombreux préjugés qui entourent la sexualité. Après la publication de la première partie de l’enquête de notre contributeur à Kankan, Cheick Berthe, sur les grossesses non-désirées dans la région, nous vous proposons la suite et la fin de ce dossier spécial préparé par Génération qui ose. Nous allons aborder dans cet article le rôle des ONG dans la lutte contre les grossesses non-désirées, la réinsertion possible pour les victimes et la position de l’islam sur la question.
Pour lutter contre le phénomène de grossesses non-désirées à Kankan, des organisations de la société civile, en plus des campagnes de sensibilisation en faveur de la planification familiale, usent de leur influence négociation pour faire reculer le phénomène. C’est le cas de l’ONG SOS Village d’enfants à travers son Programme d’Accompagnement des Communautés pour la Protection des enfants (PACOP). « Nous travaillons avec plusieurs structures communautaires comme le Conseil Local pour Enfant, les Clubs d’enfants et le Club des jeunes filles leaders. On traite des affaires liées aux grossesses non-désirées. En symbiose, nous menons assez de sensibilisations auprès des différentes familles. Nous parlons aux parents des comportements protecteurs, de la planification familiale. Parce qu’on a remarqué que les jeunes filles ne se connaissent pas bien physiologiquement et elles ne maîtrisent pas leurs cycles de menstruation encore moins les méthodes contraceptives. Ces derniers jours, nous avons traité 3 cas de grossesse non-désirée. Dans chacun de ces cas, les victimes sont menacées par leurs parents. Un problème de communication se pose et la nécessité d’une médiation s’impose. Avec l’implication des structures que je viens de citer, on essaye de négocier avec les parents. Si les parents n’acceptent pas d’obtempérer, on va vers d’autres membres de la famille. Parce que nous sommes à Kankan, les pesanteurs sociales notamment la religion et le complexe de « notoriété familiale » compliquent très souvent les choses. Notre programme a pour but de transformer le comportement des communautés. On implique des personnes ressources comme les chefs de quartier dans la négociation », explique Abdoulaye Donzo qui pilote le projet PACOP, précisant cependant qu’en cas de viol il n’est pas question de négocier.
S’agissant de la question de l’avortement, les ONG ne l’abordent que très peu, nous dit-on. « Mais quand la grossesse est contractée dans le cas d’un viol, là on ne tolère pas. Dans ces cas-là, il y a des sanctions juridiques qui devront s’abattre sur l’auteur. La question de l’avortement, je me souviens, dans l’un des cas que nous avions sous la main. La victime était porteuse d’une grossesse issue d’une relation sexuelle incestueuse. J’ai consulté un juge d’enfant qui m’a dit que la fille était libre de porter l’enfant ou pas. De l’autre côté, il faut qu’il y ait des structures socioprofessionnelles pour recevoir ces jeunes filles, tel que le CAF », préconise M. Donzo.
Quelle réinsertion possible pour les victimes ?
Au Centre d’autonomisation des femmes (CAF), une centaine de jeunes filles “vulnérables” dont l’âge varie de 13 à 20 ans y apprennent plusieurs métiers comme la couture, la broderie, la coiffure, la teinture, l’art culinaire, etc.. Parmi les pensionnaires de ce centre, on a des victimes de viols, de mariage précoce mais aussi de grossesses non-désirées. Difficile de tirer un mot de leurs bouches. Elles se méfient pratiquement de tout. C’est Jeanne Condé, la coordinatrice du centre, qui s’est prêtée aux questions de notre contributeur. « Ce centre est financé par l’Etat, pour recueillir les filles déscolarisées et vulnérables. On leur apprend les métiers qui sont ici, pour qu’elles puissent en fin de compte se prendre en charge. Ce n’est pas facile. Dès qu’elles viennent, elles sont recoquillées et renfermées sur elles-mêmes. C’est vraiment comme des coquilles fermées. On a du mal à les intégrer à la société. Mais on y arrive avec de la patience et le temps. On leur donne de l’affection. On arrive à les faire oublier ce qu’on leur a fait subir. On leur dit que c’est une étape de leur vie qu’elles doivent pouvoir transcender pour avoir une vie meilleure. Que le travail qu’elles apprennent, leur permettra un jour de prendre leur revanche sur la vie », explique-t-elle.
Sous couvert d’anonymat, une jeune femme victime de grossesse non-désirée, déscolarisée et aujourd’hui mariée précocement a accepté de nous livrer son témoignage, les larmes aux yeux. « J’allais à l’école. Quand je suis tombée enceinte, mes parents ont mis fin à mes études. Je faisais en ce moment la 7e année au Lycée 3-Avril. Ils m’ont aussi donné en mariage pour sauver leur réputation. Aujourd’hui, je me retrouve avec 3 enfants. Mon mari, ne parvient pas à subvenir à tous nos besoins. Donc j’ai trouvé refuge dans ce centre. J’apprends beaucoup de choses mais principalement la couture. J’espère demain pouvoir m’en sortir financièrement », dit-elle avant de prodiguer des conseils aux jeunes filles. « Je leur conseille de pratiquer l’abstinence. Dans le cas contraire, il faut se protéger avant tout rapport sexuel. C’est important aussi de maitriser son cycle de menstruation sans oublier les méthodes de contraception. C’est ainsi qu’on peut éviter de tomber dans une situation comme la mienne et sauver sa scolarité pour celles qui ont la chance d’aller à l’école ».
Quelle perception des religieux sur la place des enfants issues des grossesses non-désirées ?
Interrogé, l’imam Ibrahima Sagno de la mosquée universitaire de Kankan rappelle qu’un enfant issu d’une grossesse non-désirée en dehors du mariage, selon l’islam, n’a pas de père. Mais cela ne signifie pas qu’il n’a pas de droits. « L’enfant n’a rien à avoir dans ça. Il peut se marier, il peut être imam, il peut être tout ce que les autres peuvent être », se presse-t-il de clarifier sans pour autant chercher à expliquer les multiples cas d’abandons parentaux auxquels l’on assiste dans la région de Kankan.
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