La représentante du Fonds des Nations-Unies pour la Population (UNFPA) en Guinée a accordé une interview à Génération qui ose. Dans cet entretien, l’Américaine Barbara Sow a abordé avec notre équipe la mission de son institution dans le pays, les questions relatives à la santé de la reproduction, la lutte contre les violences basées sur le genre, l’éducation des filles et l’automatisation des jeunes…
Génération qui ose : Bonjour Madame. Présentez-vous à nos lecteurs ?
Barbara Sow : Bonjour, je suis Barbara Sow. Je suis la représentante de l’UNFPA en Guinée. Je suis démographe de formation. Je vis en Afrique depuis 1993, la plupart du temps c’est en Afrique de l’ouest, mais j’ai aussi travaillé en Afrique centrale.
GquiOse : Quelle est la mission de l’UNFPA en Guinée ?
BS : De façon globale, le mandat de l’UNFPA, c’est de faire en sorte qu’il y ait un monde où chaque grossesse est désirée, chaque accouchement est sans danger et chaque jeune remplit son destin. Cela se traduit par des résultats phares. Ce qui vient d’être développé par le plan stratégique de l’UNFPA, c’est de faire en sorte que dans ce monde, il y ait zéro décès maternel évitable, zéro grossesse non désirée et zéro violence faite aux femmes. Et c’est dans le but de voir cela d’ici à 2030, dans le cadre [de l’atteinte] des objectifs du développement durable.
En Guinée, il y a des objectifs qui ont été développés avec le gouvernement : améliorer les services de santé pour chaque femme, c’est-à-dire les services de planification familiale, les services d’accouchement et les services pour réparer les fissures. Mais il y a également les services pour la prise en charge des personnes victimes de violences basées sur le genre. Donc, ça, c’est l’offre des services de la santé de la reproduction.
Il y a également tout le travail qu’on fait pour les grands objectifs dont je viens de parler. Mais cela ne sera possible qu’à travers les activités de sensibilisations et les activités génératrices de revenus. Et bien, cela est le cadre référentiel de dividende démographique.
Le dividende démographique est un cadre qui explique et aide le pays à comprendre comment investir. Et c’est la meilleure façon pour s’assurer que cette jeune population d’aujourd’hui est bien préparée pour demain sur les plans sanitaire, éducatif, de l’accès au travail et de la capacité à travailler à tous les niveaux de prises de décisions pour le développement.
Il y a une interrelation entre l’éducation et la santé. Un jeune qui ne peut pas se protéger contre le VIH/SIDA ne peut pas non plus travaillé. Même s’il y a beaucoup de travail, les jeunes doivent pouvoir se prémunir contre les grossesses précoces et les autres fléaux pour pour avoir facilement accès aux emplois.
GquiOse : Vous venez d’arriver en Guinée comme la nouvelle représentante, quel constat faites-vous de l’évolution de la mission de l’UNFPA dans ce pays ?
BS : Globalement, il y a un consensus sur les besoins, les visions et les stratégies. Mais il y a un peu plus à faire pour rendre opérationnelles les différentes stratégies. Il y a, ici à Conakry, le début d’une opérationnalisation du dividende démographique dans la commune de Ratoma. Si on travaille ensemble dans cette réflexion, on va avoir des résultats. Mais si chaque secteur décide d’aller seul, il n’y aura d’optimisation des résultats. On n’est pas encore là, même si dans les départements ministériels on est en train de mettre en place le mécanisme pour une bonne coordination entre les différents acteurs pour optimiser l’impact au niveau de l’individu. Qu’ils soient filles ou garçons, l’important est qu’ils sentent toutes les différentes dimensions du dividende démographique.
GquiOse : Ce que vous dites nécessite une unité d’actions entre vous partenaires, l’État et les organisations de la société civile. Pensez-vous vraiment être aujourd’hui sur la bonne voie avec tous les acteurs ?
BS : Je pense qu’on est sur la bonne voie. Parce qu’on a déjà discuté avec le ministère de la Jeunesse, et nous avons trouvé qu’ils ont une vision pour pouvoir mieux intégrer les quatre grands acteurs autours de cette problématique qui est le développement de la jeunesse ; c’est-à-dire la jeunesse elle-même, l’État et ce qu’il peut faire à travers les différents départements ministériels, les partenaires techniques et financiers et enfin le secteur privé.
Une plateforme pour la promotion de la jeunesse va permettre à ces différents acteurs de s’asseoir et de discuter pour savoir comment optimiser les activités que les différents acteurs font. On fait tous le constat que beaucoup de choses se font, mais le défi qu’on a est que ce n’est pas suffisamment structuré et encadré pour optimiser ces impacts. Il n’y a pas suffisamment un bon partage d’informations à la fois pour la jeunesse et pour les différents acteurs. Il faut savoir comment faire le pont entre lesdits bénéficiaires qui sont également des acteurs. Donc, il faut faire en sorte que l’État, les jeunes, les partenaires et le secteur privé s’asseyent pour déterminer comment avancer.
On a déjà les différents documents et stratégies. Une meilleure concertation et coordination entre tout le monde pourrait faire avancer rapidement les choses. L’une des choses que j’ai voulu mettre sur la table pour discussion, c’est comment faire en sorte que le processus de suivi soit graduel pour savoir si les choses se font comme nous le souhaitons. Ce processus de suivi sera de voir si ce que nous avons dit est en train de se faire comme nous l’avons voulu. C’est bien ce qu’il faut développer (comme la plateforme de suivi de promesses développée par ABLOGUI, ndlr). Chaque promesse qui est faite doit être réalisée. Et ça, c’est quelque chose que l’UNFPA voudrait bien accompagner.
En 2030, tous les engagements du pays devront être au bénéfice de la génération de quinze ans aujourd’hui. C’est là qu’il faut mobiliser davantage pour mieux faire comprendre c’est quoi l’engagement pour l’objectif du développement durable et de bien suivre et savoir comment la jeunesse va être touchée, pour les objectifs de développement durable pour qu’il y ait un suivi réel par la jeunesse pour savoir comment le pays est entrain d’atteindre ses objectifs. Il y a l’engagement de l’Union Africaine pour 2063. C’est des choses où on doit avoir un vrai suivi pour savoir si on est en train de réaliser ce qu’on avait dit.
GquiOse : On voit que la jeunesse est au centre des préoccupations pour les objectifs du développement durable. Quel rôle cette jeunesse doit jouer pour l’équité entre l’homme et la femme ?
BS : Votre question touche plusieurs choses. Ce que la jeunesse doit faire est une chose et comment gérer les questions de relation entre l’homme et la femme en est une autre. Je commence par la première partie de votre question par une anecdote. En 2014, j’avais eu la chance d’aller à une conférence avec le professeur feu Babatoundé, qui était le directeur exécutif du Fonds des Nations-Unies pour la Population (UNFPA) à l’époque. Ce jour-là, il avait attiré l’attention de tout le monde sur la nécessité d’investir sur les jeunes filles de 10 ans. Pour beaucoup d’entre nous, cette approche semblait réductrice. Mais, lui, il avait argumenté que pour arriver à un développement, chaque personne doit trouver sa place dans le pays. C’est la même chose dans une famille. Qu’elle soit petite ou grande, chaque personne doit avoir sa place. Elle doit se sentir à l’aise en faisant ce qu’elle peut, tout en ayant à l’idée qu’elle est un membre égal. Au même titre que les autres membres de la famille.
De cette hypothèse, comprenez que dans une société où la femme n’est pas à pied égal avec l’homme, cette société ne peut pas être optimisée. Parce que chaque membre ne serait pas en train de donner les 100 % de lui-même. Si la femme n’a pas les mêmes opportunités pour étudier, pour travailler, ce que cette société ne vas jamais atteindre ses objectifs. C’était cela son argument de base. Il disait qu’on peut difficilement contribuer quand on est adulte si on n’est pas bien préparé. Donc, professeur feu Babatoundé était entrain de nous dire de préparer le futur en se focalisant sur les jeunes filles de dix ans, en sachant qu’elle constitue 50 % de la population. On les prépare jeunes en sachant que notre société va avoir bientôt 100 % des individus prêts à contribuer, selon ce qu’ils peuvent. En un mot, avoir un soubassement solide.
On doit commencer jeune pour reconnaître que chaque individu doit être en mesure de contribuer. Parce que la Guinée ne va réussir que si chaque individu s’implique à 100 %. Et pour atteindre cet objectif, il faut que chaque individu ait la même chance. Les violences basées sur le genre peuvent commencer assez tôt. J’ai longuement vécu sur le continent et je sais que les jeunes femmes peuvent être un peu marginalisés, voire réduites. Et ça, c’est une forme de violence. L’extrême c’est le viol. L’autre extrême, ce sont les violences corporelles. Refuser le financement dans un foyer ou ne pas donner accès aux services sanitaires sont des formes de violences. Il existe plusieurs types de violences basées sur le genre et chacune de ces violences empêche l’individu qui est la femme de s’investir pleinement dans le développement. C’est la raison pour laquelle ces violences doivent s’arrêter parce qu’elles empêchent les femmes de contribuer pleinement au développement de la société. Elles sont non seulement contre les droits des femmes, mais aussi elles ne sont pas dans l’intérêt du pays.
GquiOse : Quel message avez-vous à lancer aux jeunes ?
BS : Si je regarde aujourd’hui, en 2019, et je fais l’analyse vis-à-vis d’où je viens (je suis née en 1962 et je me suis battue quand j’étais adolescente dans les années 1970, pour ma place contre mes grands frères et mes camarades à l’école), je constate que les jeunes filles de maintenant n’ont pas forcément besoins de se battre autant. Elles ont plus de chance et les garçons sont plutôt reconnaissants qu’il y a de la place pour les jeunes filles. C’est mieux pour cette génération que pour la mienne. Je suis très optimiste. Là où je vois un risque, c’est que la sexualité, le viol et l’utilisation des violences contre les femmes sont des armes qui sont plus utilisées aujourd’hui qu’avant. Et, cela est un danger.
Dans le cas où l’homme cherche à s’imposer, il y a des études qui le prouvent, le viol est utilisé comme une expression de force. Cela est l’expression de la terreure de l’homme. Nous avons besoins de gérer cela et d’aider les hommes à ne pas considérer que le viol ou la force envers la femme est l’expression de la masculinité, qui est pour moi une expression de terreur. C’est quelque chose aujourd’hui à laquelle on doit prêter beaucoup d’attention pour que les jeunes hommes, comme les jeunes femmes, comprennent ; et qu’ils puissent regarder la sexualité comme une chose précieuse à défendre et à partager pour l’amour et non pas pour l’expression de la force.
Interview réalisée par Abdoulaye Oumou Sow (@ao_sowGn) Ezeckiel Léno et Thierno Diallo (@cireass)
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