Aminata Pilimini Diallo : « Les violences numériques ne me feront pas taire »

Journaliste web et féministe, Aminata Pilimini Diallo est une voix connue du monde des activistes en Guinée, notamment sur Internet, où elle s’emploie à interpeller et dénoncer les violences subies par les femmes. Pourtant, son engagement n’est pas sans contrepartie. Entre attaques, harcèlement et violences, la jeune femme reste vent debout, transformant ces agressions en moteur pour porter sa voix encore plus haut. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la campagne des 16 jours d’activisme, qui se tient du 25 novembre au 10 décembre 2025, autour du thème « Tous unis pour mettre fin à la violence numérique contre les femmes et les filles »…. 

GquiOse : Que représente cette journée pour vous, en tant que militante engagée dans la défense des droits des femmes, notamment sur Internet ?

Aminata Pilimini Diallo : C’est une journée comme les autres, mais aussi une journée de plus qui nous donne l’occasion de nous exprimer, de dénoncer, de défendre, de sensibiliser, de réfléchir, de parler dans les médias et d’informer sur tout ce qui concerne les violences à l’égard des jeunes filles et des femmes.

Selon vous, quels sont les progrès encore à accomplir pour que cette journée soit un véritable moteur de changement dans la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Moi, je ne suis même pas d’accord avec le principe des journées. Je me dis que tous les jours devraient être le 8 mars, le 25 novembre ou le 16 février. Tous les jours doivent être des journées de lutte, de dénonciation, de sensibilisation et d’information. On doit parler tous les jours des violences faites aux femmes, défendre les femmes tous les jours et parler de leurs droits.

Je ne suis pas toujours derrière ces institutions qui nous imposent parfois des journées, des thèmes, des choses à faire ou à dire. Pour moi, tant qu’il y a une victime, tant qu’il y a un problème, il faut en parler. Il ne faut pas attendre une date précise. Mais puisque, parfois, on doit aussi s’aligner, on va faire comme eux. On va se dire que peut-être cette journée, avec le thème de ces 16 jours, va nous donner l’occasion de mettre le doigt sur nos problèmes, d’en parler et d’amplifier nos voix. Et ensuite, tout au long de l’année, jusqu’au 25 novembre prochain, cela pourra nous aider à discuter, informer, médiatiser et rendre visibles toutes les questions liées aux violences faites aux femmes et aux filles.

En tant que web féministe, comment décrivez-vous les formes de cyberviolence auxquelles vous êtes le plus souvent confrontée ?

Avant que l’ONU n’en parle, moi j’en parlais déjà depuis des années. J’en ai même parlé dans un roman. Donc je n’attends pas toujours les institutions. C’est vrai que parfois elles peuvent nous devancer, mais très souvent, elles découvrent que nous, féministes, en avons déjà parlé.

Le thème de cette année est un bon thème. Il va aider les filles et les femmes qui s’expriment. Parce que là, on ne parle pas seulement des activistes ou des militantes, mais de toutes les femmes, surtout celles qui sont les plus suivies ou les plus écoutées : les politiques, les militantes, les journalistes.

Moi, j’ai toujours dit que le problème n’est pas le sujet dont on parle, mais le fait que nous soyons des femmes. C’est pour cela que nous sommes critiquées, insultées, harcelées et attaquées. Aborder ce thème va aider ces filles et ces femmes à comprendre qu’elles ont le droit de s’exprimer. Beaucoup pensent, à un moment donné, qu’elles n’ont pas le droit de parler de religion, de sport, de développement ou de politique. Or, elles en ont parfaitement le droit. Les sujets n’ont pas de sexe. Il n’y a pas de sujet masculin ou de sujet féminin.

La femme comme l’homme peut parler de tout. Si tout le monde peut parler de cuisine ou de beauté, cela signifie aussi que tout le monde peut parler d’économie, de politique, de science ou de sport. Ce thème va aider beaucoup de femmes et de filles à s’assumer, à comprendre et à se dire : « Oui, j’ai le droit ». Et à savoir aussi que personne n’a le droit de les violenter. Et si quelqu’un les violente, elles doivent savoir quoi faire : porter plainte, se défendre.

Normalement, nous, les femmes, devrions nous donner la main. Souvent, certaines pensent que lorsqu’une femme parle d’un sujet, cela ne la concerne qu’elle seule. Puis, le jour où cette même femme parle de religion, elle est attaquée. Et celle qui avait été attaquée auparavant parce qu’elle parlait de sport se dira : aujourd’hui, ce n’est pas mon tour. Pourtant, tous les jours, quelqu’un est attaqué. Si, à chaque fois qu’une seule est attaquée, nous nous donnons toutes la main pour la défendre, cela fera reculer les discours anti-droits et les discours anti-femmes, ceux qui refusent que les femmes s’expriment.

Nous sommes dans une société où la femme ne doit pas s’exprimer, ne doit pas parler, n’a pas droit à la parole. Elle doit parler jusqu’à un certain niveau, puis se taire. Elle n’a pas le droit de dire ce que les gens pensent, ni de réfléchir, ni d’avoir une opinion ou une analyse. Ce thème sera amplifié dans le monde entier pour aider ces jeunes filles et ces femmes qui ont peur de s’exprimer et qui quittent les réseaux sociaux dès qu’elles sont insultées ou attaquées.

Quelles solutions préconisez-vous pour mieux protéger les femmes sur Internet ?

La première solution, c’est la solidarité entre femmes. Les hommes ressemblent au colonisateur : dès qu’on est unies, cela ne leur plaît pas. Donc, si nous sommes unies entre femmes, sans forcément aimer ou approuver ce que chacune fait, c’est déjà un premier pas.

La deuxième solution, c’est d’oser. Se dire : « J’ai le droit de parler, personne ne va m’arrêter ». S’ils essaient une fois, deux fois, trois fois ou plus, et qu’ils voient qu’ils ne peuvent pas t’arrêter, ils continueront peut-être, mais ils sauront qu’ils n’y arriveront jamais. Il faut donc assumer, parler des sujets que l’on maîtrise et ne pas reculer.

La troisième solution, c’est le recours à la loi. Lorsqu’on te harcèle, t’insulte ou te menace, il existe des textes. En Guinée, il y a la loi sur la cybercriminalité. Les filles et les femmes victimes doivent porter plainte. Rien que le fait de porter plainte est déjà important. Très souvent, les autorités s’y intéressent et agissent.

Ensuite, c’est à l’État de jouer son rôle, d’appliquer les lois, de protéger les filles et les femmes sur le numérique, et de protéger tout le monde, mais particulièrement celles qui sont victimes de harcèlement et de violences, qu’elles viennent des hommes ou même d’autres femmes.

Parce qu’il y a aussi des femmes qui harcèlent d’autres femmes, qui disent par exemple : « Toi, féministe, tu ne devrais pas parler de religion ou de mariage ». Tous ceux qui insultent, harcèlent ou violentent doivent être sanctionnés. L’État doit appliquer les lois. Les plateformes sociales doivent censurer les violences, rappeler les règles et les faire respecter.

Que diriez-vous en guise de conclusion à cette interview ?

N’ayez pas peur de vous exprimer. Vous avez le droit de vous exprimer avec dignité et respect. Dites ce que vous avez à dire, sur n’importe quel thème, sur n’importe quelle plateforme. Vous êtes humaines, vous êtes femmes, ils sont hommes : vous avez les mêmes droits d’expression et la même liberté de parole.

Je suis une victime, mais je ne me victimise pas. J’ai été insultée, harcelée, attaquée et violentée sur les réseaux sociaux. Mais comme je le dis souvent, plus on m’attaque, plus j’ai envie d’en parler. Plus on m’attaque, plus cela m’inspire.

Cela ne tue pas, cela ne rend pas malade. Il faut être forte mentalement et se dire que l’on ne parle pas seulement pour soi, mais pour les autres qui ont besoin d’une voix. Souvent, quand on prend la parole, on devient la voix des sans-voix.

Cela signifie qu’il y a quelque part une petite fille ou une femme qui voudrait parler comme nous, mais qui n’en a pas les moyens ou l’audace. Alors, dès que nous avons cette audace, utilisons-la. Et que l’État prenne ses responsabilités, applique les lois et nous protège. Que les plateformes fassent de même.

Propos recueillis par Elisabeth Zézé Guilavogui

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