Chaque année, le mois d’octobre ramène du rose dans nos vies. Que ce soit dans nos bureaux, dans les rues, sur nos réseaux ou dans nos habillements, le rose s’invite — que dis-je, il s’incruste — et fait parler de lui. Ateliers, campagnes de sensibilisation, reportages, shootings photo, marches… tout est mis en place pour montrer la solidarité aux personnes atteintes de cancer et leur donner espoir. Mais après ce « m’as-tu-vu » éphémère, que reste-t-il de concret sur le terrain ? Car il faut le reconnaître, cette marée rose cache souvent une réalité amère : celle d’un système de santé qui peine à offrir une prise en charge digne et un accompagnement effectif, douze mois par an.
Quand la couleur masque la douleur
Oui, Octobre Rose, c’est le meilleur moment pour se parer de rose à travers des habits, des écharpes, des rubans, des pins… et poser pour exprimer sa solidarité à toutes ces personnes atteintes de cancer. C’est aussi le moment parfait pour multiplier les discours et les textes encourageant le dépistage précoce, ou sensibiliser sur les bonnes pratiques à adopter pour prévenir la maladie. Le succès de cette mobilisation est indiscutable, tant pour les activistes que pour les acteurs de la santé qui voient, le temps d’un mois, les projecteurs braqués sur les problèmes qu’ils tentent de résoudre toute l’année.
Ce regain d’intérêt aide les médecins, certes, mais une fois l’élan de solidarité citoyenne et médiatique retombé, les femmes diagnostiquées se retrouvent souvent face à un mur après le 31 octobre.
En effet, l’hypermédiatisation crée une illusion d’action. Pourtant, les difficultés persistent pour ces patientes : accès difficile aux soins, poids du regard de la société, coût exorbitant des traitements, attente interminable pour une simple mammographie. Pour beaucoup de femmes, le traitement rime avec endettement, renoncement ou SOS.
Dans les rares centres spécialisés, souvent concentrés en Afrique dans les capitales, les équipements sont insuffisants — parfois inexistants — et les spécialistes, eux, se font rares. S’ajoute à cela le manque de personnel infirmier formé pour accompagner ces parcours de soins complexes. Tout cela oblige souvent les malades à faire de longs et coûteux déplacements, aggravant leur précarité. Pour beaucoup d’ailleurs, « le cancer est une maladie de riches », en référence au coût que la maladie entraîne.
Que faudrait-il donc mettre en place pour que la campagne ait un impact durable ?
Consciente de ces manquements, je crois qu’il est temps que la vague rose ne soit pas qu’un effet de mode, mais le tremplin d’une réforme durable du système de santé. Toute l’énergie et la solidarité d’Octobre Rose devraient se traduire par des engagements politiques et financiers concrets. Car la véritable solidarité se mesure à la capacité de l’État à garantir une continuité des soins tout au long de l’année. Et pour cela, plusieurs actions structurées s’imposent :
- Subventionner les traitements et assurer les soins. Pour une personne atteinte de cancer, il n’y a rien de plus apaisant qu’un traitement subventionné par l’État ou pris en charge par une assurance maladie de base. Cela allège non seulement le fardeau financier, mais procure aussi une sécurité mentale et un véritable espoir de guérison, même si le processus reste long et douloureux.
- Décentraliser la prise en charge. Les longs et coûteux déplacements des malades n’aident en rien. En plus de fragiliser leur état physique et mental, ils accentuent leur précarité et réduisent leur espoir de rémission, faute de moyens. En créant des centres de traitement dans les régions, surtout administratives, leur fardeau logistique et financier pourrait être considérablement allégé. Il est donc urgent d’investir dans la création et l’équipement de centres spécialisés pour la prise en charge des personnes atteintes de cancer.
- Former davantage de spécialistes et les répartir équitablement sur le territoire. Le manque de compétences freine la qualité des soins et la rapidité des diagnostics, mais ce déficit peut être comblé. En multipliant les programmes de formation pour les professionnels de santé — oncologues, cancérologues, radiothérapeutes, infirmiers spécialisés — on peut garantir une meilleure prise en charge à travers tout le pays.
La bataille psychologique et sociale après le diagnostic : l’autre accompagnement oublié
Autant on pense au parcours de soins, autant on doit garder à l’esprit que la prise en charge du cancer ne s’arrête pas au dernier jour de chimiothérapie. Vivre avec le cancer, ce n’est pas seulement survivre aux traitements, c’est affronter la peur, la douleur, la solitude et la stigmatisation. La bataille est donc psychologique et sociale aussi.
Et en tenant compte de cela, la prise en charge devrait être plus globale : médicale, psychologique et sociale, pour ne pas oublier la femme derrière la maladie.
Pourtant, nous manquons cruellement de psychologues dans le pays — a fortiori de psychologues spécialisés — capables d’accompagner les survivantes dans leur processus de guérison. Il manque également des structures de soutien, des groupes de parole et des espaces de reconstruction pour les malades et leurs familles.
Sur le plan social, beaucoup de femmes font face à la perte de leur emploi, de leur autonomie, voire de leur dignité. Les malades se heurtent souvent à la stigmatisation et aux difficultés de réinsertion. Et quand la guérison n’est plus possible, les soins palliatifs — nutrition, gestion de la douleur, confort de vie — deviennent un droit trop souvent ignoré.
Il est temps de transformer le rose en un engagement permanent
La campagne autour d’Octobre Rose devrait être le point de départ d’une lutte, d’un engagement à soutenir et accompagner les malades — un cri d’alarme vital, pas un point d’arrivée qu’on oublie dès le 1er novembre. D’ailleurs, la lutte contre le cancer ne se gagne pas avec des rubans, des discours ou des marches, mais avec des politiques publiques fortes et engagées, des budgets pérennes et une volonté réelle d’agir toute l’année.
Les autorités, les entreprises (qui arborent le rose un mois par an) et la société civile devraient transformer cet élan de solidarité éphémère en un engagement politique et financier permanent.
Aux autorités : investissez dans la santé publique.
Aux entreprises : allez au-delà du marketing rose pour soutenir concrètement la recherche et la prise en charge.
À la société civile : maintenez la pression, faites du bruit, racontez, à travers le pouvoir des médias, les histoires de ces femmes — et de ces hommes — qui se battent dans l’ombre, sans aucun soutien.
Le véritable courage, ce n’est pas de porter un ruban rose seulement en octobre, mais de garantir que chaque femme (et chaque homme, comme nous le verrons en Novembre Bleu) ait les moyens de se battre et de vivre dignement, 365 jours par an. La prise en charge du cancer devrait être une priorité nationale, au-delà de la couleur du mois, avec l’implication de tous.
Elisabeth Zézé Guilavogui – Journaliste I Féministe