Guinée : quand la surdité empêche de choisir sa méthode de contraception

En Guinée, bien que le droit à la santé soit universel, pour certaines personnes, l’accès à ce droit reste parsemé d’obstacles. C’est le cas des personnes souffrant de surdité , notamment en ce qui concerne l’utilisation des services de planification familiale. Mariam Barry, une jeune femme de 31 ans, en est un exemple poignant. Elle est mère de quatre enfants, sourde de naissance et utilise la langue des signes pour s’exprimer.

À Dounet, une commune de la région de Mamou, le marché bat son plein en ce mardi 2 septembre 2025. C’est l’un des rares jours où la vie quotidienne s’anime aussi intensément dans cette localité. Dans le Centre de santé de la commune, des agents de santé communautaires annoncent une semaine de gratuité des services de planification familiale. Pour Mariam, c’est à la fois une aubaine et un dilemme.

On nous a dit tout à l’heure que la planification familiale est disponible gratuitement cette semaine mais je ne pense pas que j’irai pour choisir une méthode” affirme Mariam Barry le regard à la fois hésitant et désolé.

Mariam a l’habitude de se débrouiller seule malgré son handicap. Pour ses besoins de communication avec les autres, elle compte sur l’aide de sa cousine qui peut interpréter ses mots pour elle. Mais quand il s’agit d’une question aussi intime et personnelle que la planification familiale, Mariam hésite.

Elle se demande comment le personnel du centre de santé réagira face à son handicap. Elle se demande si elle devra encore une fois faire appel à sa cousine pour l’aider, brisant ainsi le mur de sa vie privée. “Je peux t’accompagner” lui propose sa cousine en quelques signes de la main et des yeux. Mariam répond : “non”.

En effet, Mariam ne veut pas que sa cousine assiste à ses discussions avec le personnel de santé. Elle souhaite bénéficier de ce service, mais elle veut aussi la confidentialité et le respect de sa vie privée, tout comme n’importe quelle autre femme.

Le manque de préparation des structures de santé

Dans les centres visités, la réponse institutionnelle repose encore sur des expédients: une ‘boîte à images’ pour orienter le choix contraceptif, quelques affiches et l’improvisation d’un proche interprète. Or, pour une femme sourde, comprendre les effets secondaires, les contre‑indications et les options réversibles exige une interaction soutenue en langue des signes et des supports visuels validés médicalement.

Joséphine Nieba est sage-femme et cheffe du Centre de santé de Dounet depuis 3 ans. Elle admet que le centre reçoit très rarement des personnes en situation de handicap, et que la majorité de ces cas se limitent à des handicaps physiques. Les personnes sourdes sont selon elle, pratiquement absentes.

Nous n’avons pas encore rencontré de cas de sourds-muets ou de sourds tout court,” nous confie Joséphine. Face à la question de savoir comment le centre prendrait en charge une femme sourde et muette, la réponse de la sage-femme révèle la précarité de la situation. Elle évoque l’existence d’une “boîte à images” et des produits qu’ils peuvent montrer. Une solution qui ne répond que partiellement à la question, car la communication est bien plus que la simple identification d’un produit.

Le manque de formation du personnel de santé et l’absence de moyens adaptés pour les personnes malentendantes constituent un frein important à l’utilisation des services de planification familiale par cette couche de la population. Il n’existe pas non plus de service d’interprète en langue des signes et le personnel de santé est peu formé pour travailler avec des personnes dans ce type de situation.

L’histoire de Mariam illustre les défis que rencontrent les personnes en situation de handicap dans l’accès aux soins de santé en Guinée. La barrière de la langue, et la faible connaissance des professionnels de la santé sur les besoins spécifiques de ces personnes sont des obstacles qui confirment l’insuffisance de la préparation des structures de santé à offrir des services inclusifs.

Des besoins non satisfaits en PF, un facteur aggravant la vulnérabilité des personnes sourdes

Cette absence d’outils adaptés se traduit par une charge mentale supplémentaire: négocier la présence d’un tiers pour interpréter, renoncer à la confidentialité, ou tout simplement renoncer au service. Les professionnelles de santé interrogées admettent manquer de formation et d’un protocole clair pour déclencher un interprétariat en moins de 48 heures.

Dans l’enceinte de la cité de la solidarité à Conakry, une femme sourde d’une trentaine d’années qui a voulu garder l’anonymat nous confie ceci : “j’ai deux enfants et mon mari aussi est handicapé, il ne travaille pas”. Le souhait de cette femme, comme nous l’explique l’interprète est “d’utiliser une méthode moderne de contraception”. La structure de santé est à moins de 50 pas de son lieu de logement, mais elle a un blocage “comme expliquer en toute confidentialité sa situation à un personnel de santé sans témoin”.

Comme des milliers d’autres femmes vivant avec ce type d’handicap en Guinée, elle aspirait à une certaine liberté, celle de choisir quand et si elle voulait fonder une famille. Mais la réalité était bien différente.

Selon le rapport de l’OMS sur l’équité en santé pour les personnes handicapées, on estime à plus d’un milliard le nombre de personnes vivant avec un handicap dans le monde, dont 80 % dans les pays en développement. Et selon le rapport sur la situation des femmes du RGPH3, en Guinée, ce chiffre est de 1,5 % de la population, et 47 % d’entre elles sont des femmes. Ces chiffres cachent des histoires comme celle de Mariam et cette autre femme qui a préféré garder l’anonymat, des aspirations mises de côté et des droits bafoués.

Bien qu’il n’existe pas un chiffre officiel sur le nombre total des personnes souffrant de surdité dans le pays, ces personnes sont présentes sur l’ensemble du territoire national. Ces femmes souffrant de surdité ont des besoins en planification familiale qui ne sont pas satisfaits.

Cet accès difficile à la planification familiale pourrait exposer ces femmes à diverses situations : des grossesses non désirées, trop rapprochées et des infections sexuellement transmissibles. “On peut même assister à une réduction considérable de leur autonomie sexuelle”, souligne Joséphine Nieba.

 Un programme pilote plein d’espoir, mais encore trop limité

En 2023, la Guinée a commencé à changer les choses. Un programme pilote a vu le jour à Conakry, fruit d’un partenariat entre le gouvernement, la Fondation Orange Guinée et le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA).

L’objectif : rendre la planification familiale accessible aux femmes et aux filles handicapées. “Le programme vise tout type d’handicap”, souligne le Docteur Siré Camara, Cheffe de Division Planification familiale.

Mariam Bangoura, une jeune femme souffrant d’une déficience de motricité a pu en bénéficier. Pendant 11 mois, elle a reçu des soins gratuits à travers une sage-femme qui lui donnait des soins à domicile périodiquement. Elle raconte, les yeux pleins d’émotion : « Pour nous qui sommes handicapées, sans cette aide, nous ne pouvons pas utiliser les services de santé, encore moins la planification familiale.« 

Un communiqué de presse publié récemment par la Fondation Orange et l’UNFPA, indique qu’entre 2023 et 2024, “ce programme a touché 2 476 femmes et filles handicapées, leur offrant des soins et des produits de santé reproductive”. Poursuivant, le communiqué de presse indique que “le succès a été tel que le programme va s’étendre à 3 autres communes de Conakry, apportant une lueur d’espoir à de nombreuses autres femmes handicapées”.

Bien qu’un programme de planification familiale adapté aux besoins des handicapés soit un grand pas pour le pays, le fait qu’il se limite à Conakry et ne mentionne pas les spécificités des handicapés indique qu’il reste encore des aspects importants à prendre en compte.

Malgré les progrès, le chemin est encore semé d’embûches. Si les deux centres de santé de Conakry (Coléah et Jean Paul 2) ont été aménagés pour être plus accessibles, la situation reste critique dans d’autres régions. À Mamou et Kindia par exemple, trois centres de santé visités, dont ceux de Dounet, Tolo et Friguiagbé, manquent cruellement de mécanismes pour accueillir les personnes handicapées, en particulier les sourds et malentendants.

Il est désormais crucial d’étendre le programme pilote de Conakry à tout le pays. Il faut former davantage le personnel de santé pour qu’il puisse répondre aux besoins de toutes les personnes handicapées, y compris celles souffrant de surdité. L’objectif est de s’assurer que des histoires comme celles des personnes qui ont accès aux services se multiplient et que chaque femme, quel que soit son handicap, ait le droit de choisir son avenir.

Accessibilité des centres pour les personnes sourdes: ce que montrent les “scorecards”

Renseignés début septembre 2025 dans trois centres (Dounet, Tolo, Friguiagbé), les “scorecards d’accessibilité( outil d’évaluation regroupant des indicateurs mesurables avec des attributions de notes pour obtenir une vue d’ensemble, comparable et suivable dans le temps) confirment des lacunes structurelles. Chaque centre totalise 6 points sur un maximum de 22, soit environ 27 %. Les points forts communs: la présence de supports visuels/pictogrammes pour la planification familiale et l’existence d’un espace confidentiel. Les manques sont massifs: aucune vidéo/QR en langue des signes, absence de répertoire d’interprètes et de procédure d’activation sous 48 heures, pas de personnel formé à la surdité, ni de registre de retours dédié aux usagers sourds.

Des résultats à nuancer

À Dounet, une procédure d’appel discrète est mise en place, mais les formulaires accessibles et la vérification de compréhension (“teach‑back”) sont absents.

À Tolo et Friguiagbé, il n’y a pas de formulaires simplifiés. Néanmoins le personnel de santé s’assure d’avoir le consentement formel de la cliente avant l’offre de service.

Ces résultats illustrent l’écart entre l’ambition d’un service inclusif et la réalité opérationnelle vécue par les femmes sourdes.

Les “scorecards” de Dounet, Tolo et Friguiagbé confirment ce que racontent Mariam et tant d’autres: l’accessibilité pour les personnes sourdes reste largement insuffisante, malgré quelques progrès et un projet pilote prometteur à Conakry. Tant que l’information en langue des signes, l’interprétariat, la confidentialité et la formation du personnel ne seront pas garantis, le droit au choix reproductif demeurera théorique pour des milliers de femmes.

Au-delà des intentions, l’enjeu est désormais opérationnel. L’extension du pilote doit s’accompagner d’un standard minimal d’accessibilité dans chaque centre de santé, mesurable et financé, afin que la planification familiale soit réellement inclusive et respectueuse de la dignité des personnes sourdes.

Parce que le droit de choisir quand et si l’on veut des enfants ne devrait pas dépendre de l’audition, mais de la volonté collective d’offrir des services de santé réellement accessibles à toutes.

Sayon Idovic Loua

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