Mécanique, soudure, électricité, vitrerie et tant d’autres… de plus en plus de jeunes filles ou femmes se lancent dans ces métiers traditionnellement exercés, au sein de la société guinéenne, par des hommes. Parmi ces Guinéennes qui s’engagent dans ces secteurs, longtemps perçus comme exclusivement masculins, il y a Hadja Aissatou Diouldé Bah, une apprentie vitrière à Conakry.
Âgée de 18 ans, elle se forme depuis quatre mois dans un atelier de vitrerie, situé au quartier Cosa, sur la transversale qui mène au carrefour Koffi-Annan – Nongo Contéyah, dans la banlieue de Conakry. Connue sous le surnom de « 2 Bah », ou encore « Seconde chance », elle incarne une génération de jeunes filles prêtes à s’affranchir des normes genrées pour tracer leur propre voie professionnelle. « Je viens d’une famille très modeste. J’ai été scolarisée tardivement, puis j’ai abandonné l’école après avoir échoué à l’examen d’entrée en 7e année. Ne voulant pas rester inactive, et souhaitant aider ma mère financièrement, j’ai choisi d’apprendre la vitrerie. C’est un métier qui, dit-on, peut rapporter, mais surtout, il m’a toujours passionnée », explique-t-elle.
Outre l’intérêt économique, la jeune femme évoque une troisième motivation : celle de « faire différemment », de démontrer que les femmes sont tout aussi capables que les hommes dans les métiers dits techniques.
Un apprentissage semé d’embûches
Son choix n’a pas été immédiatement accepté par son entourage. Sa mère, dans un premier temps opposée à cette ambition, l’avait plutôt inscrite dans un atelier de couture. Une expérience écourtée au bout de deux semaines. « Je n’y trouvais aucun intérêt. C’est grâce à ma tante, chez qui je vis, et à mon cousin que j’ai pu convaincre ma mère », indique t-elle.
Même son formateur, maître Baldé, s’est montré initialement réticent. Ce n’est qu’après plusieurs sollicitations que la jeune femme est finalement admise dans l’atelier. Aujourd’hui, il ne tarit pas d’éloges à son encontre. « C’est une élève sérieuse et motivée. Elle apprend vite et cherche toujours à se rendre utile, même sur les chantiers les plus exigeants. Je suis convaincu qu’elle réussira », confie-t-il.
Mais au sein de l’atelier, l’insertion n’a pas été immédiate. Seule femme au milieu d’une dizaine de garçons, Hadja Aissatou a dû faire face aux moqueries, aux remarques sexistes et à l’isolement. « On me répétait que je n’avais rien à faire là. On me décourageait de toucher aux outils. Il m’est arrivé de pleurer en cachette. Par moments, je doutais de mes capacités. Ce métier est aussi physiquement éprouvant : il faut porter du verre, manipuler des instruments lourds, mémoriser des mesures complexes… Mais je tiens bon », se réjouit-elle.
Une inclusion encore fragile
En Guinée, comme dans d’autres pays africains, l’accès des femmes aux métiers techniques reste limité. Les mentalités évoluent lentement et les résistances sociales demeurent fortes. Le cas de Hadja Aissatou Diouldé Bah illustre les obstacles, familiaux, sociaux et professionnels que rencontrent de nombreuses jeunes filles ou femmes désireuses d’investir ces secteurs.
Face à ces obstacles, la jeune apprentie lance un appel à toutes celles qui voudraient se lancer dans ce genre de métiers. « A toutes celles qui souhaitent apprendre un métier technique, allez-y, n’hésitez pas. Il faut croire en soi, ignorer les jugements et s’investir sérieusement », encourage Mlle Bah avec le rêve d’avoir plus tard son propre atelier et s’installer à son compte.
De retour du Sénégal où il a appris le métier, son maître, Mamadou Tanou Baldé, a formé plus d’une vingtaine d’apprentis en dix ans. Il insiste aujourd’hui sur la nécessité d’accompagner davantage les parcours féminins dans les métiers manuels.
Alors que les politiques publiques de promotion de l’égalité professionnelle demeurent embryonnaires en Guinée, l’exemple de Diouldé Bah interpelle et encourage. Elle rappelle, dans le silence de son atelier, que l’émancipation peut aussi rimer avec marteau, tournevis, verre et gants de protection.
Morlaye Keita