Agée de 36 ans, Cécile Kolou Kalivogui est l’ainée d’une famille de huit enfants et mère de deux filles. Si elle est l’une des rares femmes pour ne pas dire la seule qui s’intéresse au métier de dépannage d’ordinateurs et de téléphones portables dans la ville de N’Zérékoré, la capitale régionale de la Guinée forestière, son parcours pourrait inspirer de nombreuses jeunes femmes. Notre contributrice Élisabeth Zézé Guilavogui l’a rencontrée…
Ses débuts dans cette activité remontent à neuf ans, à quelque 200 kilomètres de là, à Guéckédou. « En 2006, pendant la période des vacances prolongées après le baccalauréat, j’avais un petit téléphone qui était tombé dans l’eau et que je voulais arranger, Je suis allée dans un centre, ils ont arrangé le téléphone et par curiosité j’ai aimé le travail et j’ai décidé d’apprendre le travail. Je me suis demandée est ce que si je dis à mon papa que je veux faire ça, il va accepter ? Il va me répondre que c’est un métier de garçon. J’ai trouvé un garçon adoptif de la maison pour aller m’accompagner dans ce centre et en parler au maître. Arrivés, celui-ci a dit non, on n’a jamais vu une fille s’intéresser à ce genre de métier et les filles provoquent et dérangent beaucoup… On a supplié pendant plusieurs jours et mon frère leur a assuré que mon éducation m’interdisait de faire certaines choses, donc de m’accepter et qu’il n’y aura pas de dérangement. Nous avons été acceptés au quatrième jour, finalement. C’est comme çà j’ai commencé à travailler… », se rappelle-t-elle.
Des difficultés et des obstacles, elle en a assez rencontré dans son entourage, notamment ses coéquipiers garçons qui ne rataient pas une occasion de mettre des bâtons dans ses roues. « Ils m’ont beaucoup fatigué. Quand ils ont remarqué que j’étais beaucoup vigilante et intelligente, quand il y avait certains boulots, ils m’envoyaient en commission. Des fois, ils me donnaient des activités pour juste me décourager. J’étais toujours marginalisée, je recevais des moqueries pour que je me décourage mais j’aimais le métier, donc j’ai tenu ces trois mois », raconte-t-elle le visage impassible pendant que sur la table qui lui sert de bureau, plusieurs téléphones et outils de travail sont éparpillés ça et là.
Son passage dans ce centre l’aura beaucoup marqué, puisqu’après le BAC, elle est orientée à l’Université de Labé, option MIAGE. Les cours des premières années en tronc commun n’étant pas intenses, Cécile en profite pour chercher des techniciens compétents et trouve finalement des ivoiriens au centre commercial. « Je suis allée les voir et ils m’ont dit qu’il n’ya pas de problème. Je devais payer 50.000 gnf par mois et j’ai accepté… Quand il y avait des boulots que je voulais comprendre par curiosité, le maître me disait : si je te montre ça quelle sera la différence entre toi et moi ? Je suis le maître, je ne vais jamais te montrer ce qui est là ? J’ai dû forcer la situation et supporter les insultes, les renvois. J’ai forcé jusqu’à connaître beaucoup de notions auprès de mon maître»,précise Dame Cécile. Sa ténacité et son dévouement ont finalement payé car son maître finit par la prendre sous son aile.
Son maître lui a offert des outils et des instruments pour travailler à son propre compte alors qu’elle était en licence 3. Elle s’est alors faite une petite caisse devant son domicile de l’époque afin qu’elle poursuive son travail. Avec l’aide de ses camarades qui lui trouvaient des clients, elle a réussi à tenir bon en partageant les revenus avec ceux-ci. Le même scénario s’est répété lors de son installation à Conakry où elle travaillait avec des jeunes de son quartier avant qu’elle ne trouve une place devant le CHU Ignace Deen, qu’elle n’occupera finalement pas puisque les autorités de cet hôpital lui demandèrent de quitter les lieux suite à des travaux annoncés.
Nourrice, elle arrive alors à N’Zérékoré en 2013 et investit sa petite économie dans son transport. « Je me suis faite une petite table devant un petit télécentre où j’exposais les téléphones. Pendant ce temps, les gens se moquaient de moi. Je n’ai pas désespéré et c’est ainsi qu’un jour, un monsieur venu brancher son téléphone s’est intéressé à moi sérieusement en me demandant ce que je faisais avant de m’encourager. Il m’a dit qu’il avait plus de 10 téléphones gâtés à la maison et je lui ai dit de me les envoyer. Le lendemain, j’ai réussi à réparer cinq téléphones et les jours suivants, j’ai mis au point tous les autres. Il était impressionné », se souvient-elle fièrement.
Cet homme fait connaître son nom au gouvernorat et fait sa promotion, ce qui lui ramène des clients. La radio Liberté et d’autres la mettent en exergue. Elle crée ainsi son entreprise, Cécilia Business Plus en 2017 grâce a ses économies mais aussi à un prêt de 100 millions d’un proche qu’elle n’a pas encore fini de rembourser. Patronne de cette entreprise, elle ne se limite plus à réparer les portables. « Je vends des ordinateurs et des téléphones portables, en plus je représente la société Infinix à N’Zérékoré. Je vends les accessoires et les pièces de téléphone», précise Cécile. Son entreprise a actuellement trois stagiaires, toutes des filles.
Menue et de taille moyenne, habillée dans une robe faite de tissu traditionnel, Cécile Kalivogui a assez de rêves qu’elle espère réaliser avec le soutien de son époux. « Je cherche à agrandir l’entreprise, à ne pas juste rester à N’Zérékoré mais que mon entreprise soit représentée un peu partout en Guinée. J’ai besoin d’aide pour plus aider les filles qui chôment », assure-t-elle.
« Avoir la conscience de se battre pour aider les jeunes filles, les éduquer, c’est ce que je demande aux parents. Aux jeunes filles, ne vous laissez pas faire et ayez le courage de dire non à un homme qui n’est pas sérieux avec vous. Ne comptez pas sur l’argent d’un homme, soyez courageuses et autonomes », conseille t-elle.
Elisabeth Zézé Guilavogui
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