Longtemps considérée comme une malédiction ou un mauvais sort jeté sur la femme infidèle et irrespectueuse envers son mari, la fistule obstétricale demeure un problème de santé mondiale. Un fléau qui touche surtout les pays en développement, principalement en Afrique subsaharienne. Les femmes victimes de fistules sont souvent rejetées, stigmatisées par leur mari, leur entourage et parfois même leur famille. Considérées comme impures, on leur interdit tout rassemblement : la mosquée, les cérémonies funèbres, de mariage, de baptême… Ceux qui devraient les soutenir sont souvent les premiers à les abandonner, à les fuir. De la femme joyeuse, aimée, pleine de vie elles ne deviennent plus que l’ombre d’elles-mêmes, des loques humaines mises au ban de la société.

Mettre un accent sur les fistules n’est jamais chose facile. La première réaction de bon nombre de gens est d’esquiver le sujet ou l’indifférence. Pour aborder la question, notre contributeur Abdoul Baldé, basé dans la ville de Labé, a rencontré Dr. Kindy Diallo, uro-gynécologue et chef de l’unité Urologie de l’hôpital régional de Labé, pour nous en dire plus sur la maladie.

Génération qui ose : Qu’est-ce que la fistule obstétricale ?

Dr. Kindy Diallo : C’est une pathologie qui se traduit par une perte involontaire des urines après un accouchement difficile. Médicalement, c’est une communication pathologique entre l’appareil urinaire et l’appareil génital. Particulièrement, c’est une communication entre la vessie et le vagin ou entre le rectum et le vagin.

Par extension, il peut y avoir une communication entre la vessie et l’utérus ou entre les uretères et le vagin.

Quels sont les chiffres sur la maladie disponibles dans la région de Labé ?

De septembre 2016 à avril 2018, avec l’appui de l’USAID (l’agence américaine d’aide au développement), 618 femmes ont été reçues à l’unité « fistules » parmi lesquelles 218 ont été opérées, 141 femmes ont eu leurs fistules fermées. 48 fistules n’ont été fermées. Il y a 29 incontinences urinaires.

Quelles sont les causes de la fistule obstétricale ?

Les accouchements difficiles sont la cause principale des fistules obstétricales. Il peut y avoir d’autres causes, comme les causes mécaniques : on peut tomber et un objet arrive à trouer la vessie et le vagin ; quand on opère on peut créer d’autres causes qui ne sont pas dues à l’accouchement. Il peut y avoir d’autres causes pathologiques, comme le cancer du col de l’utérus qui peut entraîner à la longue une fistule entre la vessie et le vagin.

Comment soigner la fistule ?

Les soins de la fistule sont strictement chirurgicaux, il faut opérer pour la soigner. Il n’y a pas de médicaments pour ça à moins qu’au début si c’est une toute petite fistule, on peut placer une sonde attendre quelque temps parfois ça peut se fermer. Mais je le réitère : c’est si c’est une petite fistule, si ce n’est pas une petite fistule, il n’existe pas un autre traitement sauf la chirurgie.

Comment prévenir la fistule obstétricale ?

Pour prévenir les fistules obstétricales, il faut éviter les accouchements difficiles. Il faut que les femmes fréquentent les structures sanitaires comme les services de maternité, suivre les conseils des agents de santé et accoucher dans un centre bien équipé si la grossesse est à risque.

La fistule obstétricale est considérée comme une maladie « honteuse », quel appel pouvez-vous lancer aux femmes qui en souffrent et qui n’ont pas le courage d’aller vers une structure sanitaire en vue d’un traitement ?

Dr. Kindy Diallo est uro-gynécologue et chef de l’unité Urologie de l’hôpital régional de Labé. Il traite les patientes de fistules obstétricales dans la région. Crédit photo : Abdoul Baldé / Génération qui ose

Les femmes sont rejetées, marginalisées, on ne les accepte pas dans les mosquées, dans les cérémonies, elles sont rejetées par leurs maris. Vous ne verrez jamais une femme atteinte de fistule accompagnée par son mari ici, ça ne fait même pas 0,1 %. Nous ne les suivons que la première année et les autres années elles sont seules. Sur les 17 femmes opérées ici, aucune n’est avec son mari et dans de rares cas on voit un mari ici. Ce sont des femmes marginalisées. Il faut donc qu’elles sachent que c’est une maladie guérissable, on peut les opérer et les guérir et cela ne peut se faire que dans les centres spécialisés. Ce n’est pas n’importe qui qui peut traiter les fistules, c’est coûteux mais la seule chance qu’elles ont, c’est que la maladie est prise en charge par des ONG en dehors de la Guinée. Donc, dès qu’on souffre d’une maladie, il faut se rendre dans une structure sanitaire et dès qu’on constate que c’est une fistule, ils réfèrent directement dans un centre de prise en charge des fistules.

Comment se fait la prise en charge de la fistule obstétricale à Labé ?

La prise en charge est complètement gratuite. Nous payons le transport aller-retour, la nourriture, la prise en charge, les médicaments, bref tous les frais afférents au traitement.

Le mariage précoce et l’excision ont-ils quelque chose à voir avec la fistule obstétricale ?

Le plus souvent, ce sont les jeunes filles à bas-âge qui n’ont pas la maturité du bassin qui font leurs fistules ; bien que celles qui ont aussi l’âge extrême ou qui ont eu beaucoup de grossesses en font aussi parfois. C’est pour cela, il faut éviter les mariages précoces. L’excision aussi est l’une des causes parce qu’elle peut créer des fibromes qui entraînent à la longue une difficulté lors de l’accouchement. Cela veut dire donc, pas de mariage précoce et pas d’excision pour la jeune fille.

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Je vous remercie de nous aider à éduquer la population. Premièrement, à dire aux femmes et particulièrement aux femmes en grossesse de se faire toujours consulter dans les centres de santé, d’éviter les accouchements à domicile et celles qui ont par malheur une perte involontaire des urines de venir toujours se consulter pour savoir si c’est une fistule pour qu’on puisse la corriger de façon chirurgicale.

Propos recueillis par Abdoul Baldé

Génération qui ose est une plateforme d’informations et de sensibilisation sur la santé de la reproduction des adolescents et des jeunes (SRAJ), de promotion de l’émancipation des femmes et de lutte contre les violences basées sur le genre. Ce projet est porté par l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) en partenariat avec le Fonds des Nations-Unies pour la population (UNFPA) et le ministère guinéen de la Jeunesse. Suivez-nous également sur les réseaux sociaux avec le hashtag #GquiOse.

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