Ma fille, il est 3 heures du matin, mais je n’arrive toujours pas à dormir. Les pensées se bousculent dans ma tête. Depuis trois jours, mes nuits sont sans répit. Pourtant, j’ai toutes les raisons pour être apaisée et heureuse… Mais depuis trois jours je n’y arrive pas. Je fais le vide dans ma tête, je ferme mes yeux. A cet instant, je sens ma connexion avec l’univers, mes tourments envolés, et repense à cette merveilleuse journée du 10 novembre…

Je te revois, ma fille, en toge noire derrière le pupitre qui t’apprêtes à lire ton discours au nom de ta promotion. Mon cœur de mère déborde de fierté, à seulement 19 ans, tu es brillante dans tout ce que tu fais. Ton discours est émouvant, plein de détermination et de fougue. Je me dis intérieurement : « C’est tout toi, humm, tu n’es pas majore de ta promotion pour rien (rire) ».

Je te revois me prendre dans tes bars et me souffler « on y est Maman… » Je ressens tes larmes mouiller mon cou et je frisonne quand je repense à tes mots : « Papa, là-haut, est fière de toi. Désormais, je prends tout en mains, j’ai ce qu’il faut pour prendre le flambeau. Je commence un stage dans deux semaines au service Finances d’une grande multinationale qui va se solder par un emploi direct ».

Je hoche simplement la tête, tes mots me ramènent 20 ans en arrière ou dans les mêmes circonstances j’avais dit à peu près les mêmes phrases à ma mère. Car le monde du travail n’a pas du tout été un repos pour moi. Malgré mes hautes qualifications.


Mes démons me happent encore. Je sais que ma fille a toutes les qualités et aptitudes pour ce poste. Ma peur, ce sont les requins qu’elle devra affronter dans son évolution professionnelle. Comment la préparer à cette nouvelle phase de sa vie ? Soudain, une idée germe dans mon esprit tourmenté : lui raconter mes péripéties dans cette lettre. Je me lève de mon lit et m’installe derrière mon bureau, je prends ma feuille et mon stylo et laisse mon esprit vagabonder dans les abysses de mes souvenirs.


Ma chère fille,

Je suis fière de toi. Dans quelques jours, tu feras tes premiers pas dans le monde professionnel, je sais que tu es très impatiente de commencer, mais laisse-moi te dire quelque chose. Mon vœu le plus cher est de te voir déployer tes ailes. Mon devoir de mère m’oblige néanmoins de te prévenir des dangers que tu pourras rencontrer. Alors lis bien mon histoire et je sais que tu trouveras ce qu’il te faut pour éviter les pièges.

Il y a 20 ans, j’étais cette jeune fille qui savait ce qu’elle voulait et que faire pour l’obtenir. Je voulais être professeure au collège et j’ai travaillé dur pour l’être.

À la fin de mon cycle, on m’a affectée à un collège public au début tout était bien. Peut-être même «  trop bien » ! Mon directeur était au début gentil et serviable, mais il a changé quand j’ai refusé ses avances. Il a fait de ma vie un enfer. Pendant quatre longues années, j’ai subi des humiliations de toutes sortes, je n’avais droit à rien. Pourtant, j’étais brillante même très brillante ! Le pire dans tout ça, je n’avais nulle part où me plaindre. Le personnel le soutenait et je suis devenue la paria de l’école.

Revivre ces souvenirs me fait pleurer et mes larmes tachent ma lettre. Je fais une pause pour me reprendre et je continue mon histoire. Après ces longues années, ma demande de transfert a été enfin acceptée.

Nouveau collège, nouveaux collègues… Au début, j’étais méfiante avec mon expérience. Quoi de plus normal ! Mes seuls amis étaient mes élèves. On s’adorait. Certains collègues ont commencé à me traiter d’arrogante et de grosse tête. Après quelques mois à « étudier » le comportement de mes collègues qui étaient plutôt sympathiques, j’ai baissé ma garde avec le corps professoral mais pas le personnel administratif. Une année passa. Tout allait bien. Et puis un de mes collègues, jeune frère du DCE et beau-frère du directeur, commença à être entreprenant : d’abord des textos d’amour, des caresses subtiles quand on se rencontre aux escaliers, après des mots dégradants et dévalorisants et à la fin une tentative de viol.

Mon stress et mon mal être impactaient mon travail. J’en ai parlé au principal, nous avons tenu une réunion, des collègues qui étaient au courant m’ont trahie. Hélas… Je n’avais aucune preuve contre lui, mais j’ai continué à lutter et à tenir tête. La seule personne qui m’a soutenue a été mutée en région dans un village éloigné.

Après quelques mois, je suis aussi mutée au sud du pays. C’était ma punition pour n’avoir pas cautionné les agissements de mes bourreaux mais j’étais fière de moi. Je fais une pause, le regard pétillant et un énorme sourire aux lèvres. Je me remets à écrire.

Ma chère fille les cinq années passées dans ce village ont été belle, j’ai vécu ma passion comme je l’avais imaginé lors de ma remise de diplôme et je me suis mariée à ton père. La suite de l’histoire, tu la connais…

Trouves-en mes mots, le courage, la force, la détermination à faire face à tes potentiels bourreaux. Crois-moi ma fille, même si mon histoire date de 20 ans, les mêmes réalités perdurent encore. Bats-toi pour tes rêves, accomplis-les en gardant ta dignité et tes valeurs. Tu vas peut-être changer encore et encore de poste, mais tout finira par bien aller pour toi, je te le promets.

Ta Maman

Génération qui ose est une plateforme d’informations et de sensibilisation sur la santé de la reproduction des adolescents et des jeunes (SRAJ), de promotion de l’émancipation des femmes et de lutte contre les violences basées sur le genre. Ce projet est porté par l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) en partenariat avec le Fonds des Nations-Unies pour la population (UNFPA) et le ministère guinéen de la Jeunesse. Suivez-nous également sur les réseaux sociaux avec le hashtag #GquiOse.

ABLOGUI © Copyright 2024. Tous les Droits Réservés.

Abonnement à la newsletter

Recevez les derniers messages & articles dans votre courrier électronique

Nous promettons de ne pas envoyer de spam:)