En Guinée, dans leur majorité, les personnes handicapées croulent sous le poids de la marginalisation et de la stigmatisation. N’étant pas toujours scolarisées et ne pouvant souvent pas faire valoir des aptitudes donnant droit à un emploi et à un revenu, les personnes vivant avec un handicap font face en outre à d’importantes barrières sociales pour mener une vie sentimentale épanouie. Il en découle que pour les femmes en particulier, la vie conjugale, dans certains cas, peut relever du luxe. Ce qui en soi est un problème quand on sait qu’au sein de la société guinéenne, le célibat pour une femme est un statut lourd à porter.

Premières barrières

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, dans la plupart des cas, la personne handicapée porte en elle-même les premières barrières de sa rencontre avec l’autre. Intégrant très tôt la vulnérabilité que lui confère son handicap, les parents ont tendance à lui inculquer la méfiance. « Mon père et ma mère m’ont toujours dit de me concentrer sur mes études. Ils me rappelaient souvent que je ne suis pas comme les autres filles et que je n’ai pas à faire tout ce qu’elles font », se souvient ainsi Massoud Barry, la dynamique et ravissante demoiselle dont le plaidoyer a récemment ému le colonel Mamadi Doumbouya, au palais du peuple. Aujourd’hui trentenaire et titulaire d’une Maîtrise en Economie-Finance de l’Université Sonfonia, la présidente fondatrice de l’Organisation de secours des handicapés de Guinée (OSH-Guinée) attend en effet qu’on lui passe la bague au doigt.

Pourtant, elle a eu droit à deux flirts qui semblaient chacun, parti pour se terminer par le mariage. Le premier, c’est quand elle faisait la 2ème année à l’université de Sonfonia. Un homme de nationalité sierra léonaise lui déclare sa flamme et lui promet le mariage. Massoud en est toute enchantée. Mais subitement, tout s’arrête. « Un jour, explique-t-elle, il vient chez moi et me dit que si nous devons nous marier, il va falloir que j’abandonne mes études ». La jeune étudiante y voit alors un simple prétexte. « Il voulait juste se débarrasser de moi. Car ce ne sont pas mes études qui posaient problème, mais plutôt mon état physique. D’ailleurs, c’est pourquoi il a posé cette condition. Par ce qu’il sait que je tenais à mes études », croit-elle. Et bien sûr, la relation en reste là.

Exigence

Quant au second, Massoud avoue qu’il tenait « vraiment » à elle. Mais leur désir de fonder un foyer se heurtera à l’opposition des parents du prétendant. En effet, les parents de ce dernier, disant ne pas s’opposer à leur union, vont néanmoins poser une condition. « Il fallait qu’il se marie à une jeune fille de sa famille avant de m’épouser », telle est l’exigence que posaient les futurs beaux-parents de Massoud. Elle le vit mal, mais finit par s’y plier. « Parce que j’étais finalement moi-même tombée amoureuse de lui », explique-t-elle. Malheureusement, son sacrifice ne suffira pas à son bonheur. En effet, là aussi, un dimanche, constatant que le monsieur ne l’avait pas appelée depuis le matin, comme il en avait l’habitude, Massoud l’appelle dans l’après-midi. Celui-ci décroche, au milieu d’un gros brouhaha. Elle lui demande de s’éloigner du bruit pour qu’ils puissent se comprendre. « Il m’a dit qu’il ne pouvait pas, parce qu’il est à son propre mariage ». « Je n’en revenais pas », s’empresse de reconnaître Massoud.

Un regard pragmatique

Mais aujourd’hui, émergeant de ces deux déceptions, c’est avec une certaine lucidité qu’elle appréhende les choses. Les difficultés pour les femmes handicapées à trouver un époux, elle les comprend d’une certaine façon. « Dans notre société, l’épouse est associée à un certain nombre de tâches ménagères comme la cuisine, la lessive ou encore la vaisselle », tient-elle tout d’abord à faire remarquer. Une personne vivant avec un handicap ne pouvant pas toujours s’acquitter de ces tâches, Massoud comprend que ces aspects puissent entrer en ligne de compte dans la décision d’épouser une femme handicapée. Et c’est pourquoi elle recommande vivement que chaque personne handicapée fasse en sorte de mener une activité susceptible de lui rapporter un revenu, aussi petit soit-il. « Si tu ne peux pas faire certaines activités à la maison, tu peux au moins aider le monsieur dans certaines dépenses. Et cela peut l’encourager, lui et sa famille », estime en effet Massoud Barry. Plutôt pragmatique, la militante des droits des personnes handicapées pense en outre que les familles de la femme handicapée peuvent aussi faciliter son mariage. « Quand une fille handicapée doit se marier, si elle n’a pas les moyens de se trouver une domestique, je pense que la famille doit aussi s’impliquer en la faisant accompagner par une fille qui pourra l’épauler », suggère celle qui en profite pour dire qu’elle s’est récemment fiancée.

Aucune expérience sentimentale

A la différence de Massoud, Fanta Konaté, elle, n’a encore aucun prétendant. Elle n’a même aucune expérience sentimentale. Agée de 20 ans, elle traine un handicap consécutif à un accident qui lui a ôté sa jambe droite. Pour autant, elle ne fait pas la manche le long de la route. Alternant la couture et la percussion, elle a de quoi vivre sans avoir à mendier. « En dépit des compliments que me font les hommes qui trouvent que je suis belle et courageuse, aucun n’a encore manifesté le désir de m’épouser », confie-t-elle. Et la raison de ce paradoxe, selon elle, se trouve dans le fait que les hommes se demandent souvent : « Pourquoi se marier avec une fille handicapée, pendant qu’il y a des filles bien portantes » ? A ceux qui ont tendance à raisonner ainsi, Fanta Konaté voudrait rappeler une chose : « Une personne valide aujourd’hui, peut devenir handicapée demain ».

Elles sont portées vers la victimisation

Mais qu’est-ce que les hommes eux-mêmes pensent du mariage des filles handicapées ? Thierno Boubacar Bah, commerçant à Sonfonia, trouve qu’épouser une femme handicapée reviendrait à accroitre ses propres charges. « J’épouse une femme pour que celle-ci prenne soin de moi, de ma maison et m’aide dans mon business », dit-il. La femme vivant avec un handicap n’étant pas capable de tout cela, il pense qu’en se mariant à une d’entre elles, « ce sera à moi plutôt de prendre soin d’elle ». En outre, selon lui, « elles sont très sensibles, dès que tu commets une erreur, elles se victimisent automatiquement ».

Epouser une femme vivant avec un handicap, Sadjo Bah, employé de banque, lui, n’y voit aucun inconvénient. A condition néanmoins qu’elle soit instruite et qu’elle ait un métier. Ces conditions réunies, dit-il : « Il ne devrait pas y avoir une grande différence entre un fille valide et handicapée ». Il pense même qu’il y a un avantage à se marier à une femme handicapée, en ce sens que la probabilité « qu’elle me trompe est très faible ». Une manière pudique de dire, là aussi, que les femmes vivant avec un handicap ne sont pas parmi les plus convoitées. Lire la suite ici.

Génération qui ose est une plateforme d’informations et de sensibilisation sur la santé de la reproduction des adolescents et des jeunes (SRAJ), de promotion de l’émancipation des femmes et de lutte contre les violences basées sur le genre. Ce projet est porté par l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) en partenariat avec le Fonds des Nations-Unies pour la population (UNFPA) et le ministère guinéen de la Jeunesse. Suivez-nous également sur les réseaux sociaux avec le hashtag #GquiOse.

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