Du haut de ses 24 ans, Fatoumata* est une très belle jeune femme, rayonnante, malgré le terrible traumatisme qu’elle a vécu pendant une bonne partie de sa vie. Derrière son sourire se cache un passé aux expériences douloureuses marquées par des violences physiques et psychologiques. Des années ont passé mais la jeune femme peine à effacer ses douloureux souvenirs, bien qu’elle soit en train de reprendre sa vie en main, travaillant aujourd’hui dans un réceptif hôtelier de la place.

C’est une jeune maman souriante que nous avons reçue au début de l’entretien qui, au fil de son témoignage, a fini par avoir un visage crispé. Son émotion est compréhensible ! Comme 97% des guinéennes âgées de 15 à 49 ans, Fatoumata* a été excisée. Elle a connu également la maltraitance, le harcèlement sexuel, le mariage précoce et forcé… « J’étais petite, j’avais dix ans. On m’a envoyée pour m’exciser. Arrivée à la maison, le sang coulait sur moi, je saignais beaucoup. Ils ont été obligés de faire bouillir la daba pour, disent-ils, arrêter l’hémorragie. Mais malheureusement, cela n’a pas eu d’effets sur l’hémorragie. Ils étaient obliger de m’envoyer à l’hôpital. Les médecins ont tout fait pour stopper l’hémorragie. Nous sommes revenus à la maison et je ne voulais rien manger, parce que je me sentais faible, j’étais très fragile », se souvient la vingtenaire.

À la fin de son cycle primaire, elle quitte la préfecture de Dinguiraye où elle est originaire pour rejoindre une grande sœur à Labé et ainsi poursuivre ses études. Avec cette dernière, une autre souffrance attend la pauvre jeune fille. « Ma sœur voulait que je sorte avec un jeune commerçant, qui lui faisait des cadeaux après chaque voyage. J’ai refusé l’offre. Ce qui m’a valu des représailles terribles de la part de ma sœur. Elle me battait, me privait de nourriture et m’enfermait à la maison avant d’aller au marché où elle avait une boutique. Heureusement, des jeunes étudiants voisins ont remarqué la souffrance que ma sœur m’infligeait. Ces derniers m’apportaient à manger par la fenêtre. Très remontés contre ma sœur, ils ont décidé de m’aider à échapper pour rejoindre ma famille à Dinguiraye. »

Une joie de courte durée…

De retour chez elle, une grande surprise l’attend. Son papa s’empresse de réaliser une promesse faite à un ami : la donner en mariage au fils de celui-ci. « Une fois que je débarque, les choses s’accélèrent pour moi. Je voyais le jeune chez nous, il jouait avec moi souvent. Je ne pensais pas que derrière cette sympathie se cachait un projet de mariage. C’est à la veille du mariage qu’on m’a dit que je devais me marier. »

Après le mariage, Fatoumata* a vécu un nouvel enfer qui a débuté le jour où elle a partagé le lit avec son mari. « C’est la pire chose qui pouvait m’arriver, parce que je devais aller à l’hôpital pour que je puisse avoir des rapports sexuels avec mon mari. Il fallait déchirer la suture des grandes lèvres. Cette infibulation qui a été faite pendant l’excision était un frein pour les rapports sexuels entre mon mari et moi. Donc, il fallait nécessairement m’infliger cette nouvelle souffrance. Et pire, on m’a obligée de couché avec lui le même jour pour, disent-ils, ouvrir pour de bon mon vagin. Depuis ce jour, quand on faisait l’amour, tout le monde était au courant parce que j’étais petite et je supportais pas avec tous ce que j’ai subi. Les gens me disaient de rentrer chez mes parents pour faire quelques années avant de revenir, parce que la ‘misère’ était visible sur mon corps.»

De ce mariage qui n’a pas fait long feu résulte un enfant, âgé aujourd’hui de sept ans. « Finalement, j’ai divorcé avec lui, parce qu’il n’a pas respecté ses engagements. Il avait promis que je devais continuer les études. Mais une fois que j’ai accouché les choses n’ont pas été faciles pour moi. Je ne partais plus à l’école, et sa nouvelle offre de m’aider à faire un petit commerce, n’était qu’illusion. »

Reprendre sa vie en main en travaillant

Après son divorce, elle reprend ses études qu’elle abandonne en classe de Terminale. Plus tard, elle décroche un boulot de serveuse dans un réceptif hôtelier de Conakry. Mais tout n’est pas rose avec ce travail, car certains font l’amalgame entre travailler dans un hôtel et la prostitution. « Quand je sors le soir pour aller au boulot, je ne reviens que souvent tard dans la nuit. Et malheureusement, certains parents et voisins ne comprennent pas le sens d’un travail nocturne. Ils considèrent que je fais de la prostitution. Et cela a été même rapporté à mes parents. Ils ont dit que je refuse de me remarier parce que je me prostitue dans les hôtels de Conakry », explique-t-elle gênée.

De ces préjugés, elle se rappelle d’une anecdote qu’elle a eu avec un conducteur de taxi-moto auquel elle a sollicité les services pour se rendre au travail. « Un jour, j’ai eu une dispute chaude avec un conducteur de taxi-moto, qui a carrément voulu surtaxé mon trajet. Sans la moindre hésitation, il m’a affirmée que cette surtaxe c’était sa ‘part du butin’ dans l’argent que je gagnerai à l’hôtel suite aux passes ». Des propos blessants qu’elle entend régulièrement. « Maintenant, je ne dis plus aux chauffeurs ou aux conducteurs de taxi-moto que je vais à l’hôtel, sinon ils risquent de multiplier les prix du transport. J’indique juste un coin à côté de l’hôtel où je travaille, car pour eux toutes les filles qui viennent à l’hôtel sont des prostituées donc gagnent facilement l’argent. », regrette-t-elle. Mais heureusement, je crois en Dieu, et je m’en fou de ce que les gens pense de moi. Pour moi, c’est ce que je fais en toute conscience qui est important. Je pense que c’est cette force qui me fait vivre aujourd’hui ».

Se rappeler de sa souffrance pour protéger ses enfants

À l’issue de près d’une heure qu’on a passée avec elle pour recueillir son témoignage, Fatoumata* n’arrivait plus à contenir ses larmes. Son récit pathétique se termine par une promesse : se rappeler de sa souffrance pour protéger l’enfant qu’elle a et ceux qui naîtront. « Mes enfants ne doivent pas vivre l’enfer que j’ai vécu. Personne n’exicisera ma fille et je vais mettre en prison toute personne qui tentera de le faire ou de la donner en mariage avant qu’elle n’ait l’âge requis. La douleur que j’ai traversée suffit largement pour que je m’y oppose foncièrement ».

*Nom d’emprunt

Abdoulaye Oumou Sow, Ezeckiel Leno et Thierno Diallo

Génération qui ose est une plateforme d’informations et de sensibilisation sur la santé de la reproduction des adolescents et des jeunes (SRAJ), de promotion de l’émancipation des femmes et de lutte contre les violences basées sur le genre. Ce projet est porté par l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) en partenariat avec le Fonds des Nations-Unies pour la population (UNFPA) et le ministère guinéen de la Jeunesse. Suivez-nous également sur les réseaux sociaux avec le hashtag #GquiOse.

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